Un mois d’octobre vêtu d’un été indien de soie et de cachemire nous invitait à nous installer sur la véranda. Nos jambes allongées sur la table basse, nous trinquions au vin rouge à nos retrouvailles. Cette complicité du premier rendez-vous ne s’était donc pas estompée par les mois d’absence où le regard de l’autre aurait pu dans l’imaginaire avoir une autre couleur. Non. Immuable au temps qui passe, il n’y avait donc pas d’explication à donner à ce confort humain.
Cerveau sali qui nous a emmenés au pire de nous. Nous avions cela de grand en commun. Qu’il est salvateur de le laver ! Cet organe ne nous a jamais voulu du mal; conscients que nous étions les seuls coupables de lui avoir ouvert la porte au vice.
Ici plus de destruction, plus de perdition, plus de perversion. Esprits complices, responsables d’un passé, effrayés par un futur aimant, résistants dans un présent instable. Ici, sur cette terrasse, exaltés de ce que l’un pouvait dire et de ce que l’autre rétorquait. Ici, la parole prenait son sens dans sa profonde pureté et dans une spontanéité que seuls des enfants connaissent encore. Oser se confronter à notre part obscure et mettre en lumière la part réelle de notre âme, un lavage de cerveau loin d’être odieux.
Une main posée sur la mienne, c’est en contemplant les arbres immobiles et le ciel voué à l’espoir que nous libérions tout naturellement la parole au silence.
Ainsi elle apparut…celle-ci avait remplacé les mots par la gêne en secouant avec espièglerie nos esprits. Cette délicate pudeur nous obligeait à rejoindre la maison cossue, fuyant peut-être l’inexploré. Il était l’heure où nos cerveaux nous écrivaient un tout autre scénario, nous livrant à nous-mêmes, face à nos émotions. Le geste, en voilà un mot qui saurait nous faire avouer par le mouvement, ce que la pensée se refusait de clamer à haute voix.
Verres de vin posés dans le lavabo. La machine à laver déjà en marche, ces deux orphelins de cristal attendraient le prochain tour. Un ronronnement à peine perceptible s’échappant de cette machine froide et austère se transformait peu à peu en une mélodie suave et apaisante. Nous entendions l’eau caresser les assiettes, les verres, les ustensiles, créant une sonorité frôlant l’impalpable. Un son unique où nos cerveaux immaculés disparurent ne restait que deux corps égarés dans l’immensité de l’univers affectif, tentant de trouver refuge en humant le parfum de l’autre. Nos deux torses scotchés tout contre, c’est au rythme cuivré que nos pieds ont dansé, délaissant les syllabes au-dehors. Un pas à gauche, puis à droite, effleurant à peine le sol. Lèvres qui se saluent, se croisent, se touchent, se sentent, la maladresse et la douceur candide ont su rendre le baiser précieux. Nous étions ces deux gamins qui n’avaient jamais eu la chance d’avoir été jeunes. Les yeux fermés, blottis au point de nous sentir à l’intérieur de l’autre, nous nous enlacions aussi fort qu’un adieu sur un quai de gare.
Deux cœurs à l’abandon cédant leur âme paumée à l’entière merci de cette machine à laver. C’est donc elle qui a su nous mettre à nu le temps d’un programme à 45° degrés. Laissons cet instant à l’instant, en se délectant de savoir un jour nos cœurs lavés définitivement et de battre au rythme sincère d’une foudre d’été.