L’embryon se prélasse dans le placenta, s’allonge et se forme dans cet étrange espace. Son sexe révélé à la foule, fille ou garçon, l’amour inconditionnel rendra cet enfant heureux. Une naissance sans complexe, la vie lui impose son sexe. Le transgenre ne vient pas au monde, il le devient. Évidence limpide vécue de l’intérieur, seule une quête obsessionnelle rectifiera cette erreur naturelle.
Léo grandit à Bangkok où son père occupe le poste d’Ambassadeur. Ce petit français à l’éducation irréprochable et au destin tout tracé, cache une tout autre ambition que celle de faire science po comme papa et d’épouser une fille de bonne famille. Son but intime se résume au prénom de Joséphine. Elle vit dans ses songes et l’abandonne dès l’aube lorsque l’affront du miroir le ramène à la réalité. Léo n’est pas Joséphine ; « Tu seras un homme, mon fils ! » L’emprise paternelle hante l’esprit du jeune enfant. Tiraillement permanent entre ce qu’il doit être aux yeux d’une société rassurée par la norme et cequ’il est au plus profond de ses tripes: une femme.
Cauchemar journalier lorsqu’il gratte ses lourdes gonades posées dans le caleçon ; Léo fantasme alors sur la forme de sa poitrine ronde et ferme qu’il aurait préféré caresser. Le malaise se crée dès la puberté où il est temps de s’affirmer sexuellement. Égaré devant son premier film porno hétéro, il se force à perdre à jamais sa virginité à l’intérieur d’une femme. Il renifle le partenaire masculin, mais réalise vite qu’il n’est pas homosexuel. À quel genre humain Léo appartient-il ? La rencontre avec les Lady Boy dans des bars glauques du quartier de « Patpong » sera LA révélation. Une fascination démentielle l’envahit, il en oublierait presque son physique aux traits disgracieux. Tout l’inverse de ces créatures sorties d’un moule parfait. Malgré la présence des bijoux de famille entre les jambes, la Katoï atteint l’apogée féminin. Son opération dépend du mécène prêt à conquérir sa belle, peu importe, elle s’impose transsexuel ! À ce jour, aucune Miss Monde n’est parvenue à dépasser la beauté de ces ovnis. Le touriste curieux du phénomène pénètre dans un bar où des dizaines de Lady Boy endiablent la foule. L’homme de l’Ouest entre en transe. Épris d’un délire incontrôlable, il n’hésite pas à planter sa femme au bar, son cerveau bloqué au niveau du bas ventre, des envies de viol viendraient presque à son esprit. Des souvenirs de vacances qu’il racontera à ses potes, le Lady Boy sera réduit à une attraction touristique. Pour Léo, l’apparition divine a une tout autre saveur. Convaincu par son identité féminine, il entame son périple en sourdine. En Thaïlande, l’intégration des Katoï débute à l’école où des toilettes leur sont attribuées. Ils ont accès à l’éducation, mais auront-ils accès à une profession choisie ? La Katoï de chez nous, vêtue d’une robe chiffonnée, chaussée d’escarpins taille 41 et des mains qui ne trompent pas, a le regard triste. Hormones avalées, les seins ont poussé, ne reste plus que l’opération fatidique, le sésame selon la loi, pour changer son état civil. Le rêve est soumis à un psychiatre qui donnera son verdict après des mois de thérapie. Ouf, Léo n’est pas fou. Il peut enfin accéder au Graal: devenir femme ! Sur le billard, il se réveillera neuf heures plus tard. Le psy a foutu le camp, ni médecins, ni amants, ni amis, ni famille ne se soucieront de lui. Face à ce vagin fraîchement moulé, c’est désemparé et seul qu’il s’appropriera ce corps étranger. Le troisième genre est né. Léo est né. Incapable de se regarder face à Joséphine, c’est dans un autre monde qu’il vivra telle une Divine.
Dieu créa la femme…mais pas toutes les femmes…